Le Mémorial du camp KLEBER

  C'est à la mairie de Darney, située à l'époque dans le château que le sénateur-maire  André BARBIER a conçu, au début de 1937 le projet d'un monument franco-tchécoslovaque destiné à faire revivre les évènements historiques qui, au cours de l'année 1918 ont contribué à faire de Darney le "berceau" de la TCHECOSLOVAQUIE.

   Rappelons-nous ces réflexions de M.BARBIER, imaginant à l'époque cet édifice sur l'emplacement du camp KLEBER, où jusqu'à 6000 légionnaires Tchèques et Slovaques"sont venus s'assembler de leur volonté propre, pour y apprendre le dur métier des armes et se préparer au combat, et s'il le fallait, à la mort en rêvant d'un idéal de liberté et de justice."

 Approuvé le 14 Mai 1937  par le conseil Général des Vosges, la projet fut présenté ensuite par le Président BARBIER aux deux gouvernements français et tchécoslovaque (il se rendit spécialement à Prague pour évoquer cette intention).

   A Paris, tant à la chambre des députés qu'au sénat, la discussion donna lieu à d'émouvantes manisfestations d'amitié envers la république amie. Et à Prague, M BARBIER fut reçu comme un digne repésentant de sa cité et de la France entière, si bien que les deux gouvernements ont obtenu chacun le vote d'un crédit important (500 000 frans pour la France).

   Des comités de patronage furent formés dans les deux capitales auxquelles adhèrent aussitôt les chefs d'état, des ministres, généraux et éminentes personnalités de la politique, des sciences et  des arts.La naissance du comité français parut au journal officiel le vendredi 21 janvier 1938, et les étapes de la construction de ce Mémorial allaient très vite se succéder

Une Année primordiale

Mars 1938: Des hordes d'Hitler s'abattent sur l'Autriche mais le plateau KLEBER de Darney connaît une intense activité. Les bases d'une pyramide sont profodément enfoncées dans les robustes assises du grès vosgien, sur les lieux mêmes où Poincaré et Benès proclamaient le 30 juin 1918, le droit sacré des Tchécoslovaques à l'indépendance.
Avril 1938: dans un développement inouï de chars d'assaut, de canons et d'avions, Hitler dirige des manoeuvres d'une ampleur jamais atteinte. A Darney dans un mouvement continu et volontaire, les 3 étages de cryptes se développent dans les flancs de l'édifice: elles permettront de rendre hommage aux morts glorieux des régiments de chasseurs tchécoslovaques dont les tombes jalonnent les routes de la victoire: une haute chapelle intérieure permettra cet hommage.
Mai 1938: les attentats se multiplient en Europe contre la paix:  douaniers et gendarmes tchécoslovaques sont assassinés sur la frontière de Bohème.
Secrétaire du comité Français pour la construction du monument, M.TRNKA fait paraître une brochure sur "DARNEY sanctuaire de la Tchécoslovaquie en France" qui va attirer de nombreux visiteurs, venus découvrir la pyramide dont la construction progresse inflexiblement.
 

Juin 1938:Des nuages menaçantss'accumulent sur l'est de la France comme au nord de la Bohême, mais à Darney, sans rien perdre de sa puissance, la pyramide poursuit son aérienne ascension.Et le 30 juin,les spectateurs découvrent depuis la base, son suprême couronnement à 32 mètres de hauteur.

Juillet, Août,septembre 1938: Au cours de ces mois les plus douloureux de l'année, la pyramide glorieuse domine Darney.Mme SORLOT et Mlle OGE accueillent sur le parvis tous ceux qui viennent dire leur attachement à la Tchécoslovaquie livrée à ses bourreaux. L'inauguration prévue pour le 30 juin n'a bien sûr pas pu avoir lieu puisque les menaces d'un confit planent sur l'Europe assombrie.

11 novembre 1938: Une touchante cérémonie a eu lieu dans la crypte supérieure de la pyramide. Au centre de la salle, sur un autel offert par le cardinal VERDIER, Archevêque de Paris, a été posé le portrait du président BENES entre les deux statuettes de légionnaires en tenue de combat. 

Autel Tchécoslovaque
du pavillon catholique,à l'exposition internationale de PARIS en 1937.
Offert par le cardinal VERDIER.
L'autel avait été placé dans la crypte intérieure du monument

Les murailles sont tapissées de sapins, et à leurs pieds,dans de la mousse cueillie en forêt, le mot"ESPOIR"est reproduit avec des bouquets d'immortelles.Du fond de la crypte monte un chant de la chorale St Venceslas tandis que des groupes de visiteurs se succèdent dans un défilé ininterrompu.

Septembre 1939:c'est la guerre, mais à Darney,le premier jour de ce mois , le lion de bronze symbole de la Tchécoslovaquie est hissé sur la face prnicipale du monument. Le comité national tchécoslovaque a réussi à le faire parvenir à destination, en dépit de la féroce surveillance des Allemands.
D'un poids de 1500Kg, ce lion national ardent et superbe,gueule ouverte et griffes dépoyées, affiche toute sa vaillance.

 

Eté 1940: c'est en vain que Mr BARBIER est intervenu, à des reprises successives auprès des autorités militaires allemandes de la place de Darney.Et finalement, la destruction du monument devient inéluctable.Ce sont les inscriptions rappelant les discours de BENES, POINCARE, et MASARYK qui seront progressivement enlevées par les soldats allemands

12 novembre 1940: la même unité va desceller l'énorme écusson tchécoslovaque en bronze expédié de Prague durant l'été 1939.Cette sculpture fut promenée dans Darney avec un arrêt provocant devant la maison de Mr BARBIER. Elle a été ensuite transportée jusqu'à la gare sur un chariot à cheval par des habitants réquisitionnés par l'occcupant. Au cours des jours suivants, les Allemands procèdent à des travaux de minage pour faire sauter la pyramide.:"Ces soldats du génie s'affèrent sur la stèle comme une nuée de ridicules insectes, l'enveloppant d'un lacet de cordons qui reliaient entre eux des charges de dynamite"
"Les états majors d'Epinal et de Nancy , a relaté Mlle OGE, sont venus sur place pour une cérémonie de grand style, en tenue de parade, les troupes défilaient puis se rangeaient en un vaste cercle autour de la pyramide  impassible au-dessus de ce dépoiement de force qu'elle écrasait de sa haute taille"

13 novembre 1940:  4 violentes explosions retentissent avec fortes fumées à la base de l'édifice.
15 Novembre : 5 violentes explosions sont encore entendues depuis la ville.
16 Novembre:  une seule explosion pour cette journée.
17 novembre: 5 explosions de nouveau se font entendre. M Barbier est averti par note du Standortkommandant, que le monument sera renversé le lundi 18 novembre après-midi, et que la population doit en être informée.

18 Novembre: 3 compagnies d'infanterie sont rassemblées près de la ferme de la Tuilerie pour une véritable prise d'armes. Un général et des officiers supérieurs arrivent en automobiles tandis qu'une musique militaire est aussi sur les lieux que survole un avion...
 A 14h30,on entend une première déflagration qui laisse deviner" un raté".En effet, rien n'a bougé! La population est allée hors de la ville, sur les hauteurs situées à l'opposé du monument: crispées et peinées, beaucoup, de personnes ont les larmes aux yeux et d'autres l'espoir de voir le monument tenir.....
 Il faut attendre 16h30 pour quà la suite d'une 2°explosion, la haute colonne accuse une légère inclinaison. Juqu'à ce moment, le temps était clair et même ensoleillé: brusquement le ciel s'est obscurci et un immense voile semblait tendu au-dessus du site. Il tonna violemment et la foudre tomba à quelques centaines de mètres de la pyramide, suivie d'une trombe d'eau. Les troupes surprises quittèrent précipitamment leurs positions, et regagnèrent en désordre leurs cantonnements.
 De leur côté , les Darnéens ont vu dans cet orage soudain(étonnant à cette saison et très localisé) comme une désapprobation céleste.....  
 A 18h environ, sans aucun apparât, une dernière explosion a retenti et le mémorial s'inclina direction Est,  vers Darney, et se coucha sur son tertre.

1 décembre : en tant que maire de Darney, M Barbier a été prévenu par le feldwebel DEYERLING que:
 "le lion de bronze du monument tchécoslovaque qui se trouve à la gare de Darney depuis le 12 novembre doit être chargé dès le lendemain sur un wagon préparé dans ce but. Les ouvriers nécessaires à cette tâche sont à désigner par la mairie. Le chargement se fera  en votre présence et vous êtes responsable du travail afin que le lion ne soit pas endommagé"
  Les personnes prévues ont oeuvré toute la journée pour ce chargement sur un wagon spécial(indice 403321) mis à disposition de l'autorité par la délégation technique SNCF de Nancy. Le chef de gare de Darney avait pourtant spécifié par dépêche  qu'il s'opposait à ce travail, ce chargement qui engage le gabarit nécessitant un calage très spécial.
 
25 janvier 1941:  le convoi emportant le lion quitte la gare de Darney à destination de "ZEUGHAUS" à Berlin.
 
 16 février 1945:  M Barbier rédige un rapport sur l'ensemble des dommages causés par l'ennemi et contraire aux lois de la guerre à propos de la destruction de ce mémorial historique et commémoratif.Il
utilisa les descriptifs établis par M Robert DANIS , inspecteur des bâtiments civils et des palais nationaux, qui fut l'architecte de cette oeuvre exceptionnelle.
Le dommage causé représentait un somme de 1 800 000 francs , à laquelle fut ajoutée la valeur du lion de bronze doré et sculpté, oeuvre du tchécoslovaque BEUTLER ,offert par le gouvernement tchécoslovaque. S'y sont ajoutés également tous les documents et ouvrages enlevés au musée du château le 23 avril 1941 par un général allemand venu de feldkommandantur d'Epinal.

02 novembre 1945: M Barbier transmet un dossier concernant "le lion de bronze, trophée de
guerre" à M Desfeuilles , ancien bibliothécaire de la chambre des députés(qu'il a connu à Paris).Cette personne doit en effet travailler à Berlin sur tous les biens confisqués par l'ennemi .

14 Août 1946: Après de nombreuses recherches effectuées à Berlin, le commandant en chef des forces en Allemagne charge M Desfeuilles d'informer le maire de Darney que M Post directeur du musée" Am ZEUGHAUS" de Berlin a déclaré que le bas-relief du monument tchécoslovaque de Darney a été endommagé par un bombardement et a été envoyé à la fonte.

20 février 1947: le juge d'instruction près du tribunal militaire de Metz dépêche les services de gendarmerie d'Epinal pour enquêter à la préfecture afin d'établir l'origine des ordres de destruction du monument franco-tchécoslovaque de Darney ainsi que le pillage du musée de cette ville.Un des témoignages recueillis fait allusion au commandant GUTSHER qui dirigeait la Feldkommandatur d'Epinal qui aurait donné cet ordre, mais qui a été tué par la suite en Russie.                                   
                                          

Monsieur André BARBIER
Sénateur-maire de DARNEY et
Président du conseil général des Vosges

Un symbole toujours vivant

 Dans l'appel solennel qu'il lança en 1937 en faveur d'une véritable mobilisation autour de la construction de ce monument commémoratif de l'indépendance tchécoslovaque, le Président Barbier a parlé avec un lyrisme exaltant pour dire ce que serait ce mémorial et aussi ce qu'il ne devait pas être:
 " Il ne sera point sur une petite place, telle une pièce de décor vers laquelle on jette un regard discret, sans plus.
   Il n'aura pas la précarité de ces oeuvres aux figures allégoriques qui deviennent des énigmes au lendemain des inaugurations".

   "Le monument de Darney sera hors la ville, au point de jonction d'un ensemble de trois chemins, qu'il faudra parcourir lentement, comme une ascension de l'esprit.Ces trois chemins convergent vers un sommet pour y accueillir les visiteurs venant se plonger au coeur d'événements historiques internationnaux qui se sont déroulés ici".

   Devant ces calmes et proches forêts aux ondulations sans heurts, face à ce paysage vosgien comparable à ceux de Tchécoslovaquie, chacun songera, qu'il soit Français, Tchèque ou Slovaque:
    -à la douceur de nos pays 
    -à leurs communes épreuves
    -à la gloire toute proche encore, mais aussi à la vigilance toujours nécessaire".
 
  "Ce ne sera pas un monument de plus, ce qui ne serait rien, mais un appel permanent au devoir, une écoute des voix de BENES, de POINCARE et de MASARYK, des voix de nos soldats, et de nos nations, faites pour vivre ensemble".

 

 

 

 

 

 

le monument actuel
en 2007